2001

Emergence additionnelle d'une idée sur des marches en pierre, sous le soleil de Pougues : 

un jeune Centre d'Art + une volonté de rayonnement hors les murs avec Valérie Pugin + un vaste espace disponible au collège devant être rasé = un projet de galerie. 

 

Début d'écriture du dossier avec le soutien de M. Pierre, principal au collège.


2002

Fin d'élaboration du dossier soumis à divers partenaires, dont le Conseil Général, le Rectorat et l'Inspection Académique.

 

Validation du projet et programmation des travaux.


2003

Début des travaux.


Rencontre des élèves de l'atelier de pratique artistique avec l'artiste russe

Olga Kisseleva autour de l'exposition "Si loin, si proche"

au centre d'art contemporain de Pougues-les-Eaux.


Travail avec l'artiste sur place pendant deux jours sur la mise en place de l'exposition.

Les élèves dorment au milieu des oeuvres! 





Danièle Yvergniaux

Si loin, si proche…

Dans la pièce « Where are you ? », Olga Kisseleva invite le spectateur à suivre un cheminement complexe qui le mène à s’interroger sur sa propre perception de l’ici et de l’ailleurs, trouble sa définition du monde virtuel et du monde réel, le convie à éprouver simultanément ces deux états apparemment opposés : se déplacer et rester sur place. Comme pour d’autres pièces antérieures, la question posée par le titre de la série nous renvoie à notre propre positionnement dans l’espace mais aussi, de façon plus large, dans le monde social, culturel d’aujourd’hui. La s&eacu e photographies, puis l’appartement mis à disposition, nourrissent cette question en la situant à l’échelle de la planète, dans un monde aux mêmes dimensions, à la même complexité que la toile du web.
L’exposition se présente en deux parties : une série de photographies, vues de divers lieux urbains qui semblent aisément identifiables par les caractéristiques des monuments, les éléments d’architecture ou les ambiances commerciales ; un espace aménagé en appartement, qui reproduit l’atmosphère d’un foyer étranger à la culture locale dans laquelle se situe le lieu d’exposition – à Moscou, par exemple, c’était un appartement parisien ; à Pougues-les-eaux, petite ville de la France rurale, l’appartement sera situé d’abord à Saint Pétersbourg, ensuite, en une demi-heure, il déménagera dans le downtown de Los Angeles. L’expérience classique de l’exposition de photographies fait place à une proposition plus active pour le spectateur ; il peut passer un moment dans l’appartement, regarder la télévision, consulter des sites Internet, il peut même y manger et y passer la nuit.

La série de photographies se lit comme une succession d’images de lieux très reconnaissables : La cathédrale Saint Pierre , la Tour Eiffel ou la Statue de la Liberté, d’immenses buildings, des quartiers commerçants asiatiques. Rome, Paris, New York ou Pékin semblent les localisations évidentes de ces images, mais cette identification sera bientôt démentie par les titres, inscrits à la fin du parcours, qui indiquent le lieu réel de la prise de vue : Saint Pétersbourg, Las Vegas, ou San Francisco…Cette série que l’artiste a également appelée « Les villes virtuelles » souligne ainsi les multiples « collages » culturels visibles en particulier à travers l’architecture. L’identité culturelle d’un pays est morcelée, fragmentée ; on en trouve des bribes ailleurs, elle est aussi comme « parasitée » par d’autres éléments étrangers. Il y a des quartiers russes ou chinois partout dans le monde, les monuments parisiens ou les palais vénitiens sont reproduits dans de grandes villes américaines. Olga Kisseleva se place ici d’un point de vue neutre et « innocent », ses photographies sont de simples constats. Elle laisse toute liberté d’interprétation : doit-on se féliciter de ce brassage culturel qui s’inscrit dans la réalité concrète, comme un signe d’ouverture aux autres cultures ? Doit-on au contraire se révolter contre ces succédanés et ces caricatures qui ne font qu’appauvrir le sens de ces signes ? Un regard plus attentif révèle la complexité de cette question, car chaque situation décrite par la photographie relève d’un contexte social, politique et culturel singulier. Nous ne pouvons porter le même jugement sur la Tour Eiffel de Las Vegas, et le quartier chinois de Paris. Dans le premier cas, il s’agit d’un acte grotesque d’appropriation par une culture dominante de l’un des monuments les plus visités au monde, qui cotoie dans la même ville des palais vénitiens, les buildings new-yorkais et les pyramides d’Egypte ; la machine libérale américaine, dans cette ville du jeu, du factice, s’approprie, digère et réduit à des décors de Walt Disney ou de jeux vidéo les symboles de l’histoire européenne. Quand il s’agit des quartiers chinois ou russes répartis dans le monde entier, c’est le processus logique d’un déplacement de la population qui est ainsi visible, une stratégie d’appropriation de l’espace par une population minoritaire, qui reproduit à l’identique ses modes de vie, de circulation, son système commercial, son architecture. Le déplacement physique, matériel s’opère presque comme un « copier/coller » dans l’espace réel, et marque aussi, dans ces situations précises, l’impossibilité pour une population à s’intégrer et se transformer au contact d’une autre culture. Ici, c’est une stratégie de résistance, là, un acte de domination.
De la même manière, la perception de ces photographies changera en fonction du spectateur, selon son degré de connaissance des villes et des cultures, sa capacité à se déplacer géographiquement et mentalement, sa propre histoire. Le visiteur russe n’aura pas la même interprétation que le visiteur français. L’intérêt, la surprise, la reconnaissance de lieux et d’éléments familiers ne porteront pas sur les mêmes images. La neutralité des points de vue photographiques laisse toute liberté pour interpréter, imaginer, reconstituer pour soi-même une représentation globale de ce monde morcelé, absurde où , même dans la réalité, ce que l’on croit voir n’est pas ce que l’on voit.

Après ces déplacements multiples proposés par les images, l’appartement offre une autre forme de voyage, en quelque sorte un « voyage immobile », la possibilité pour le visiteur d’expérimenter un autre mode de vie en restant sur place. Le mobilier, les éléments ou objets décoratifs transportent l’occupant dans l’atmosphère d’une ville qui se trouve en général sur un autre continent, un ailleurs qui sera activé par les outils de communication à disposition : journaux du jour, télévision, sites internet, radio. L’appartement permet ainsi de saisir cette fois dans l’intimité ce qui caractérise la vie d’un habitant de Paris, de Saint-Pétersbourg ou de Malibu. Là aussi, le virtuel se mêle au réel, puisque l’outil internet permet l’accès aux services du lieu concerné : on peut commander des produits, s’informer sur les plans de circulation de la ville en temps réel, sur les spectacles, l’actualité, écouter les derniers tubes et connaître la mode vestimentaire.
Le visiteur est ainsi dans la situation, mais cette fois inversée, de l’étranger exilé qui reproduit aux antipodes son appartement et ses habitudes. Olga Kisseleva , fréquemment invitée chez ses compatriotes russes installés à l’étranger, a en effet pu observer la tendance générale à reproduire à l’identique le mode de vie de son pays d’origine, comme par un réflexe grégaire. Ici, au lieu de déplacer avec soi son environnement, c’est l’aménagement particulier de l’appartement qui va provoquer le déplacement virtuel du spectateur, et lui faire découvrir de Moscou la vie parisienne, et se sentir à Pougues-les-Eaux au bord du Pacifique. Au-delà de la curiosité et de l’excitation que procure tout déplacement vers un univers exotique, il sera vite interpellé par la question du sens à donner à ce déplacement : que signifie réellement vivre à Pougues-les-Eaux comme à Malibu ?

Olga Kisseleva opère ainsi la synthèse de deux mondes qu’elle parcoure et fréquente beaucoup depuis longtemps : le monde réel qu’elle a sillonné au cours de nombreux voyages, et le monde virtuel, lieu de plusieurs de ses œuvres. C’est surtout la question de l’identité et de la perception de celle-ci, identité sociale, culturelle, individuelle, qui est posée, sans que, à aucun moment, il ne nous soit proposé de réponse. La lecture des photographies, comme l’expérience de l’appartement, font saisir émotionnellement et intellectuellement la complexité, et parfois l’absurdité des profondes mutations du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, mutations réelles et virtuelles qui se contaminent mutuellement. Le lieu où nous sommes est de plus en plus incertain, il est fragmenté, ici et très loin, écartelé entre le poids historique des cultures et la vélocité des moyens de communication, qui modifie considérablement la perception globale que nous avons de notre propre place dans le monde. Olga Kisseleva renvoie le spectateur à lui-même, à son autonomie et à sa liberté d’être et de penser pour trouver sa propre réponse à la question.